j’aime mieux perdre la vie en l’aimant,
que mourir faute de le haïr ! Je verſois
des larmes, il s’en aperçût ; auſſi tendre,
auſſi fidéle que je craignois de le voir perfide,
tandis que je le croyois occupé
du ſoin de ſe dérober à mon amour,
il ne l’étoit que de celui de tarir mes
pleurs en me délivrant de leur cauſe.
Il m’annonça, en m’embraſſant avec
tendreſſe, qu’il en avoit trouvé le
moyen. La joye que me cauſa cette promeſſe,
n’égala pas celle de m’être trompée
dans mes ſoupçons ; il me rendoit
la vie. Charmée des aſſurances qu’il me
donnoit, je fus curieuſe de ſavoir quel
étoit ce moyen qu’il prétendoit employer
pour me délivrer de mon fardeau ;
il me dit qu’il vouloit me donner d’une
boiſſon qui étoit dans le cabinet de
ſon Maître, & dont la Mere Angelique
avoit fait l’expérience avant moi. Je
voulus ſavoir ce que le Pere Jerôme
pouvoit avoir de particulier avec cette
Mere ; je la haïſſois mortellement, parce
qu’elle avoit paru une des plus animées
contre moi le jour de l’avanture
de la grille. Je l’avois toûjours priſe
pour Une Veſtale : que je me trompois !
D’autant plus ſevere, qu’elle ſavoit
mieux déguiſer ſon caractere vitieux,
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