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elle ne m’eût nourrie que de nougat ou de chocolat vanillé, si bonne-maman n’y avait mis bon ordre.

Pauvre femme ! elle ne savait à quoi dépenser son temps et son argent. C’était une véritable âme en peine conservant partout et toujours la mémoire de l’infidèle ; elle y revenait à tout propos, et nourrissait son chagrin de toutes les bribes de souvenirs qu’elle retrouvait. Sa chambre était un musée en raccourci où j’aspirais des semaines à pénétrer. Sur chaque meuble se voyait un alignement de petits coffrets, de portefeuilles, de bourses fanées, de mille riens enfin, portant tous sur une étiquette des notes hiéroglyphiques rappelant une date heureuse ou triste du temps passé. Lorsque, par faveur spéciale, j’étais admise à accompagner bonne-maman dans cette sorte de sanctuaire, je regardais curieusement de loin ces choses sans signification pour moi, que la pseudo-veuve embrassait parfois avec transport, comme aussi, dans ses accès de rancune rétrospective, menaçait de jeter en bloc dans la cheminée.

Grand’mère, avec sa haute raison et sa patience d’ange, calmait souvent par de bonnes paroles l’effervescence de ces sentiments opposés, et rendait un peu de calme à ce cœur tourmenté.

Tout auprès de nous encore vivait la famille Saucaz, gens riches et bien placés dans la bourgeoisie de la ville. C’était un curieux ménage que celui des Saucaz. Le père, ancien inspecteur de l’insinuation, était mort il y avait longtemps.