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Au-dessus d’eux, dans un appartement de garçon, logeait le chevalier Rinaldo Carlovaris, un monsieur qui était je ne sais quoi dans le gouvernement. Celui-là était un de ces Piémontais bons enfants comme nous en avons connu quelques-uns. Petit, brun, grassouillet, rieur et gracieux, il nous plaisait beaucoup.

De l’autre côté du palier, demeurait Madame veuve Charlet et sa mignonne petite fille, mon amie de cœur en ce temps-là.

Enfin, au troisième étage, dans un immense logement toujours hermétiquement clos, vivait la plus marquante et surtout la plus excentrique de nos connaissances : Mademoiselle de Rouxy de Plétange. Celle-là, je ne l’oublierai jamais. Figurez-vous une grande personne de soixante ans, ayant été blonde et jolie, mais ne conservant de ses attraits qu’un souvenir augmenté de regrets. Ses yeux, d’un bleu céleste à vingt ans, avaient pris cette teinte passée d’une étoffe hors d’usage. Le nez, beau de forme, surmontait une bouche conservant une expression hautaine dans les plis de ses lèvres pâlies.

Mademoiselle de Rouxy était la plus étrange créature qu’il se puisse imaginer. Vivant concentrée dans le culte d’un passé amèrement pleuré, elle s’était volontairement séparée de la société moderne, trop mesquine et trop bourgeoise à ses yeux. Rien des idées, du bruit, du mouvement extérieur n’arrivait à cette chambre frileusement