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trois quarts de son existence. Rien n’était plus drôle que de la voir recevant ses visiteurs, couchée de son long par-dessus la courte-pointe de parade que l’on étendait dès le matin sur le lit. Vêtue d’une robe en vieux damas ou en soie brochée et coiffée d’une capote couleur puce ou vert-épinard, elle ressemblait à ces saintes en grande toilette que l’on expose à certains jours de fête dans les églises de Sicile ou des Abruzzes. Quelle capote, mon Dieu ! un vrai monument ! Un flot de blondes ou de dentelles en garnissait l’intérieur, encadrant étroitement les joues pâles et tombantes de la singulière demoiselle. Elle ne quittait jamais cet accoutrement, quelles que fussent les personnes qu’elle eût à recevoir.

Je ne saurais vous dire dans quelles profondes rêveries je me plongeais le soir, à l’heure de notre visite quotidienne, lorsqu’assise sur la petite chauffeuse qu’elle m’avait assignée, je regardais craintivement ce visage ridé, éclairé par la lueur diffuse de la lampe à capuchon vert. Je l’écoutais racontant quelques vieilles histoires de ses aïeux : leurs démêlés avec d’ambitieux voisins, leurs alliances princières, leurs vies glorieuses et leurs morts héroïques. On eût pu croire que tous ces faits dataient de l’an passé, tant les détails en étaient précis, le tąbleau vivement retracé.

Son grand plaisir, lorsque j’étais seule avec elle, était de me donner une leçon de blason. Je devais répéter à satiété ce que signifiaient : champ d’azur,