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chanson, toujours sa voix se faisait entendre pure, fraiche, argentine, au fond de la taillée (le taillis) où elle suivait son père à la coupe des bois, dans les champs parmi les moisonneurs, dans les vignes au temps des vendanges.

Lallò passait bien des veillées d’hiver auprès du tour de Marianne ; et les soirs d’automne, quand filles et garçons allaient s’asseoir en rond dans les grands vergers fauchés, toujours les deux amoureux savaient se ménager une place isolée, plus abritée, moins en vue, pour s’y blottir. Que se disaient-ils lorsque, penchés l’un vers l’autre, ils oubliaient de tiller leur fagot de chanvre ou laissaient les jeunes couples chanter une ronde ou une complainte ? Que se disaient-ils ? Nous étions bien petits pour le savoir, mais autour d’eux, les vieillards souriaient, et quelques femmes, hors de cause en ces matières, murmuraient d’un ton bon enfant : « La jolie paire ! »


III.

Je vous ai dit que Jeanne Descolaz voyait d’un mauvais œil son fils courtiser sa cousine. C’est que cette femme-là était une vaillante travailleuse, une de ces natures dures à elles-mêmes et sévères sur la question des devoirs. Elle avait élevé huit enfants, et nourri trois des fils de son maître ; elle savait ce que c’était que la peine, et loin de la craindre, elle la recherchait, ne s’épargnant jamais. Sa