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voix était la première qui se faisait entendre après le chant du coq, son pas était le dernier bruit qui résonnait, le soir, dans la maison. Elle aimait toute cette famille qu’elle avait portée, allaitée, bercée et nourrie de son travail et de ses privations. Elle l’aimait de toute la force de son âme, mais jamais parole de louange n’était sortie de ses lèvres à l’adresse de l’un des siens. Son mari, qu’elle avait épousé à dix-neuf ans, était pour elle comme un maître : il la tutoyait, elle lui disait vous ; jamais je ne l’ai vue assise à la table commune. Pendant les repas où les enfants semblaient oublier un peu la rigidité du père, Jeanne avait toujours quelque chose à faire. Après avoir réparé toutes les omissions, toutes les négligences, et donné à chacun sa part, elle s’éclipsait, allait de l’écurie au fenil, du jardin au poulailler, puis revenait desservir et relaver les ustensiles de ménage, au moment où les travailleurs repartaient pour les champs.

Sa fille ainée, la filleule de Mme Paturel et la sœur de lait du petit Monsieur Gustave, promettait de lui ressembler, ce qui la comblait de joie ; joie mal contenue qui se trahissait par un mot d’approbation pour son œuvre chaque fois qu’il était question des compagnes de Fanny. Mais s’agissait-il de Marianne, sa nièce, elle n’en parlait jamais sans ajouter qu’elle était heureuse que sa fille n’eût point le même caractère. « — Celle-là, disait-elle d’un ton nuancé de pitié, aurait bien dû venir au monde chez des messieurs ; elle aurait au moins