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sans secousses et sans souffrances apparentes.

On crut que Marguerite perdrait, elle aussi, la raison, en voyant partir celle qu’elle avait servie toute sa vie avec cette fidélité et ce dévouement qui ne sont plus chez les serviteurs d’aujourd’hui qu’une tradition fort peu respectée.

La petite Nancy ne comprit point d’abord ce que c’était que la mort ; elle ne sut pas pourquoi des hommes noirs vinrent prendre le corps de sa grand’mère et l’emportèrent hors de cette maison, dont elle n’avait pas franchi le seuil depuis sept ou huit ans. Mais lorsque, un à un, elle vit emballer tous les meubles, que chaque pièce se dégarnissait et qu’un jour Marguerite, la prenant par la main, l’amena à la maison où elle vit son petit lit placé côte à côte avec le mien, peut-être eut-elle la lointaine perception de ne plus revoir la femme qui la couvrait de baisers si ardents. Alors elle chercha par tout l’appartement, se faisant ouvrir la plus petite porte, entraînant sa bonne dans tous les coins avec un air si interrogateur et si désolé que toutes nous nous mîmes à pleurer comme elle.

M. D***, d’accord avec bonne-maman, avait jugé : qu’avant d’appeler sa nièce près de lui, où il comptait essayer de la faire instruire, il serait bon de lui faire passer quelque temps à la campagne, au grand air, auprès de personnes qu’elle avait l’habitude de voir et qui l’aimaient comme si c’eût été une fille ou une sœur.

Marguerite, bien entendu, ne devait jamais quit-