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ter l’enfant de ses anciens maîtres. Aussi vint elle avec Nancy s’établir au Chaffard pour toutes les vacances.

Ce changement si complet d’existence fut une salutaire épreuve pour la fillette. C’était merveille que de voir, sous l’action vivifiante de l’air, du soleil et de l’activité physique, s’effacer la pâleur de son teint et la maigreur de ses joues.

Il n’en était pas de même de la vieille bonne. Toujours occupée de quelque ouvrage de lingerie ou de tricot, elle passait des jours entiers sans se lever de sa chaise. Bonne-maman avait pour elle des égards, de l’amitié même ; sa conduite et son caractère inspiraient, d’ailleurs, l’estime de tout cœur sensible. Elle tenait si peu de place dans la maison qu’il y avait des moments qu’on eût pu l’oublier, si sa sollicitude pour Nancy et son désir d’être utile ne l’eussent tirée de sa torpeur.

Le soir, assises autour de la table, grand’mère et elle travaillaient, pendant que la petite muette et et moi nous élevions des tours, des ponts ou des fortifications à l’aide de dominos, de dames et d’un plein sac de jetons. Alors on parlait du passé, de ce passé si rempli d’amers regrets. Marguerite se laissait aller complaisamment à ce courant, on voyait que sa vie était toute dans ses souvenirs.

Ce fut pendant une de ces soirées tranquilles et intimes que nous apprîmes enfin l’histoire entière de cette malheureuse famille, dont le seul membre vivant était destiné à ne jamais connaître le sort de