Page:Gex - Vieilles gens et vieilles choses (1885).pdf/159

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 152 —

Ah ! mes chères dames, s’exclama tout d’un coup la vieille femme, comme c’est dur de se rappeler tout cela, de revoir dans ma mémoire, après tant de temps de tristesse, ma chère petite Régine au même âge que sa fille à présent, d’être toute seule au monde à savoir comme elle était bonne, rieuse, et comme ses parents l’aimaient !…

Et de grosses larmes pressées couraient sur les joues creuses et jaunies de Marguerite, sa voix tremblait dans son gosier ; elle fixait des regards attendris sur Nancy, qui, fatiguée sans doute de jouer seule, s’était depuis un instant endormie, la tête gracieusement appuyée sur son bras arrondi. Bonne-maman et Madame Panissot se taisaient, respectant la douleur de la brave créature ; moi je ne soufflais mot et souhaitais tout bas que l’on me crût couchée déjà.

— On passa comme ça six ou sept ans bien en paix dans la maison, recommença la bonne après s’être remise un peu.

Les vieux parents de M. Philippe étaient morts. M. Desroches, son beau-père, ne faisait plus que de promener sa canne du grand café de la ville à l’angle de la cheminée de sa chambre, et la petite grandissait à la volée ; mais las, au lieu de se fortifier, elle était toujours plus mince, plus pâle et plus agitée.

Jamais on ne l’entendait se plaindre d’aucun mal, pourtant elle mangeait comme un oiseau, restait des heures à regarder droit devant elle et de-