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ménage, éplucher les herbés, relaver les marmites et monter l’eau. Laide comme un jour de jeûne, la Botolion[1], surnom qu’elle devait à sa taille exiguë, remplissait à merveille le rôle que lui avait dévolu la tabellionne, aussi férocement jalouse que maître Thibaut eût été paillard à l’occasion.

Vingt-sept ans ces deux sordides créatures menėrent, côte à côte, volontairement, cette vie dure et étroite, ne se lassant jamais d’empiler écus sur écus, d’ajouter un bois à un pré, une vigne à un champ, une lande à une broussaille, se sachant haïs et craints des petits, méprisés et rebutés des riches, mais conservant cette intime satisfaction de se savoir capables de payer tous les plaisirs qu’ils se refusaient.

À la fin, la peine tua la notaresse. Elle mourut sans maladie, comme une bête exténuée se couche après sa journée faite, heureuse de ne s’être rien coûté à elle-même, mais anxieuse de ce qu’allait devenir sans son aide et ses conseils cet époux qu’elle quittait malgré elle.

Pendant quelques mois, les choses allèrent à peu près comme devant chez maître Jean Thibaut ; il se levait plus tôt, se couchait plus tard et tenait tête à l’ouvrage, vivant sous l’impulsion de la poussée que sa femme lui avait imprimée dans une dernière et suprême recommandation :

— Écrase les gros et mange les petits !

  1. Petite bouteille.