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passer devant eux des plats, des plats et des plats, et chacun s’y mettant de bon cœur et de bonne volonté, les gosiers et les ventres ne tardèrent pas à faire le vide autour d’eux.

À dater du second service, maître Thibaut ne se possédait plus. Comme ces néophytes de la dernière heure, ne marchandant ni leur élan ni leur enthousiasme, messire Rogne-Clou se donna la tâche de prouver à toute la compagnie qu’il était digne de prendre sa part de cette plantureuse bombance.

Ah ! la belle chère et les bons vins ! Et comme il se sentait à l’aise entre ses deux voisins, trinqueurs acharnés, ayant à chaque bouchée un verre à vider à la santé de celui-ci ou de celui-là ! Un tourbillon de pensées voluptueuses et folâtres papillonnait dans son cerveau, excitant șa gaité un peu lourde, un peu gauche encore, faute d’habitude, crispant ses lèvres de grimaces sensuelles et pointillant ses yeux jaunes d’éclairs de paillardise, chaque fois qu’il les dirigeait vers l’une ou l’autre des grosses filles joufflues chargées du service de la table.

En fin de compte, maître Jean Thibaut, probablement pour la première fois de sa vie, se grisa, mais se grisa si complétement, qu’à neuf heures moins le quart du soir, il ronflait aussi fort qu’un bœuf enrhumé, dans un des lits de l’hospitalière maison du Mauriennais ; pendant que les autres convives et leur hôte, plus aguerris, trompaient l’attente de la traditionnelle soupe à l’oignon en risquant leur pièce de huit sous dans les hasards d’un rimpse passionné ou d’une bourre sans rachat.