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Devant lui, deux formes noires et immobiles se profilaient nettement dans la sérénité du ciel étoilé : la grande bête cornue d’abord, et, un peu en arrière, une petite femme toute courbée, toute contrefaite, s’appuyant sur un bâton aussi haut qu’elle.

En y regardant de plus près, maître Jean comprit qu’en somme il n’avait pas trop de quoi s’épouvanter : la bête, c’était une grosse chèvre ; la femme paraissait une mendiante ou une paysanne de quelque hameau voisin. Donc, sauf la boule de feu qu’il ne s’expliquait pas encore, le tabellion se sentait revenu de ses terreurs insensées.

— Qui êtes-vous ? et où est-ce que je suis ici ? demanda-t-il d’un ton redevenu plus tranquille.

— Oh ! vous me connaissez assez, monsieur Thibaut, vous connaissez la Jeanne des Avé ; elle a été de belles fois à votre porte…

— La Jeanne des Avé, murmura à part lui le notaire, se rappelant en effet le nom de cette pauvresse tant de fois éconduite, la Jeanne des Avé ! mais je croyais qu’il y avait au moins six ans qu’elle était morte.

Sans paraître avoir entendu, la petite femme reprit la parole :

— Ici, monsieur Thibaut, vous êtes près du nant des Alisses. N’entendez-vous pas l’eau qui roule à trente pas de nous ? Eh bien ! votre cheval est justement étendu mort à côté de la grosse pierre du nant. Pauvre bête ! elle a reniflé si fort avant de crever, que je l’ai entendue depuis le coin de mon feu.