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pays parla longtemps. L’aventure est aussi véridique que curieuse, et peut-être trouverait-on encore à Challes quelques vieilles gens qui s’en souviendraient comme moi.

La Maurise était la seconde fille de Bernard Couter, un cadet de famille qui n’avait rien. Je me trompe : il avait une mauvaise baraque près des châtaigniers de Bois-Plan, où deux douzaines de poules eussent été fort gênées, mais où il vivait, lui, sa femme, ses deux filles et une chèvre.

C’était un journalier, travaillant tantôt ici, tantôt là pendant les mois chauds de l’année, rapportant fidèlernent à la Clinon, sa querelleuse moitié, les quelques sous qu’il recevait pour prix de son labeur.

L’ainée des filles, laide mais forte et vaillante, s’était vite casée : un vigneron du château de Challes l’avait épousée. Restait la jolie Maurise, non moins robuste et entendue que sa sœur, mais qui par malheur s’était prise, dès longtemps, d’amitié pour Claude Porraz ; un cadet aussi celui-là, beau garçon et fort comme un cric, seulement n’ayant pas plus de patrimoine que la Maurise n’avait de dot.

Ils avaient trente-cinq ans à eux deux quand leurs amours commencèrent. C’était un enfantillage encore ; on n’y prenait pas garde ; quelques-uns même en riaient, mais eux, du premier jour, mirent tout leur cœur dans l’espoir de vivre unis.

Bernard Couter, qui savait ce qu’il en était de la pauvreté, moralisait sa fille à perte de vue sur les inconvénients de marier la faim avec la soif. De