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X.

Le lendemain, la sinistre nouvelle courait partout : chacun la colportait en la commentant. C’est qu’il y a trente ans ce mot de rage avait une expression plus terrifiante encore que de nos jours.

À cette époque, où presque jamais un médecin ne pénétrait sous le toit d’un paysan, où toute la science de guérir consistait à employer quelques remèdes secrets conservés mystérieusement dans une ou deux familles, et légués comme une partie patrimoine, être atteint de la rage était une chose horrible. La croyance que l’on devait impitoyablement étouffer les malheureux malades dès les premiers symptômes du mal, subsistait encore vivace dans tous les esprits si bien que personne dans notre village ne doutait que l’on en fit autant pour le jeune homme, s’il était prouvé qu’il fût vraiment enragé. Cela faisait frémir les plus durs et les plus insensibles.

Dans toutes les cours, dans tous les chemins, sur tous les seuils, des groupes se formaient en conciliabules ; il se débitait là des contes de toutes couleurs. Les uns émettaient l’avis que c’était la malédiction de la Jeanne sa mère qui devait être tombée en rage sur le pauvre Lallò d’autres faisaient le récit des scènes qui s’étaient passées pendant la nuit à la ferme, comment la dame avait envoyé chereber un médecin et aussi M. le curé, et comment,