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travail, plus de ressources, plus d’espérances ! On entendait derrière les portes closes des pleurs d’enfants qu’aucune parole ne pouvait apaiser, et le long des champs et des haies, on voyait errer, sombres et désespérés, des pères et des mères cherchant quelques pousses d’herbes nouvelles ou déterrant les racines de chicorées et d’oseilles sauvages pour la maigre soupe du soir.

Oh ! la sinistre année que celle-là, et comme le souvenir en est resté vif et poignant dans la mémoire des vieux ! On venait d’avoir l’une après l’autre les deux invasions ; la terreur des habits blancs était à peine calmée. Chacun essayait de réparer ses pertes, de se reprendre au travail trop longtemps interrompu par les sanglantes fantaisies de Napoléon ; les champs étaient de nouveau labourés et ensemencés ; on espérait vivre tranquille en peinant et se privant autant que les paysans savent le faire quand ils le veulent.

Mais, hélas ! le froid, la pluie, l’inondation même vinrent paralyser tous les efforts, abattre tous les courages. Que faire contre le manque de soleil, les bourrasques, les averses continuelles ? Que faire quand le foin versé pourrissait sur plante, quand le peu d’épis venus à bien germait sur la tige en andains, en javelles ? Que faire des pommes de terre gâtées, du raisin resté vert, des fruits tombés avant la maturité ? Jamais misère pareille ne s’était vue : le froment se vendait cinquante francs le sac ; le vin ?… il n’y en avait pas !