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Et, ce disant, le jeune homme montrait à Claude une poignée de gros sous et de menue monnaie.

— C’est bien aisé de dire : on peut, on peut, reprit Porraz d’un ton piteux, encore faut-il savoir où tu le trouves l’argent que tu as… À moins de le voler, je ne saurais où en prendre, moi !…

— Ah ! canonnier, mets un peu le sabot à ta langue, répliqua Paul. Qui te parle de voler ? Je ne suis pas un Mandrin, moi ! je ne prends pas l’argent dans la poche des autres, et les sous que je gagne ne font pleurer personne !

— Je ne dis pas… mais alors, interrogea Claude, je ne puis pas comprendre, et… cependant, je donnerais gros pour en savoir autant que toi.

— Veux-tu venir coucher chez nous ce soir, Daudon, reprit Guidon, je te conterai l’affaire.

À dater de cette nuit-là, Claude changea à la fois d’humeur et d’allures. Durant toute la semaine, il travaillait avec ses parents, ne marchandant pas sa peine ni sa bonne volonté ; mais quand venait le samedi soir, notre garçon quittait les champs de bonne heure, s’en allait accrocher sa pioche au râtelier, chaussait ses gros souliers d’hiver, et muni d’un fort bâton d’épines qu’il avait cuit lui-même au four, il prenait d’un bon pas la route de Chambéry, et personne ne le revoyait plus avant le lendemain matin. Que faisait-il toute la soirée et même une partie de la nuit ? C’est ce qui avait d’abord inquiété son père et sa mère. Mais lui, il avait si bien répondu à toutes les questions, il les avait si bien déroutés