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lies par la boue des chemins s’écaillaient en vingt endroits, de chevaux échappés au couteau de l’équarrisseur, d’ânes hors d’âge usant leurs dernières forces à trainer ces baraques vermoulues dans lesquelles s’entassaient pêle-mêle pour dormir des hommes, des femmes et des enfants.

Dans un des angles du rond-point s’élevait un chêne énorme prêtant complaisamment son ombre et son abri aux gens et aux bètes. D’un côté, une haie de buis géants ; de l’autre, des poteaux mobiles et des cordes en treillis servaient de fermeture à ce campement provisoire. Quand cette installation sommaire était faite, femmes et enfants se répandaient dans les villages environnants, les uns quêtant d’une voix nasillarde et traînante un p’tit peu d’beurre, un p’tit peu d’farine, un p’tit peu de pain, d’légumes, d’lard, et généralement tout ce qui leur manquait pour improviser un repas ; les autres pour piller çà et là le bois nécessaire à la cuisson de cette victuaille.

J’avais souvent assisté de loin aux apprêts de ces dîners champêtres, moins à dédaigner qu’on pourrait le croire. Il se confectionnait là de ces soupes dont le bouillon doré et l’odeur appétissante faisaient venir l’eau à la bouche. Toutes les provisions extorquées à grand renfort d’éloquence à la faiblesse peureuse des paysans concouraient au festin, lequel se prolongeait ou s’écourtait suivant l’importance de la récolte du jour. Pendant que pères, mères et enfants se restauraient, les animaux