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dans le ciel comme un grand nuage noir, se jetant sur les prés, les vignes, les jardins, rongeant tout ce qui se trouvait devant elles, comme des chèvres brouteraient des salades.

Comme notre pays me semblait petit, laid et mesquin auprès de ces contrées enchantées ! Est-ce que cela valait la peine d’y demeurer ? Qu’était-ce qu’un endroit où l’on ne trouvait que des pommes, des raisins, des cerises !… Qui est-ce qui n’en mangeait pas de ces fruits-là ?… Qui est-ce qui ne savait pas comment cela était fait ? Il y en avait dans toutes les vignes, dans tous les jardins… C’était vraiment honteux d’avoir un pays aussi vulgaire, hérissé de montagnes qui tenaient toute la place !…

Puis, chez nous on ne parlait que français et patois… Il y avait bien encore le piémontais pour quelques-uns, mais cela ne comptait pas, on n’y comprenait rien !…

Oh ! que je me trouvais malheureuse au Chaffard, et que j’aurais voulu être à la place de Sta !…

Au reste, je n’étais plus seule à nourrir le désir de voyager : Alexandre V., le fils d’un de nos voisins de campagne, mon meilleur camarade, mon ami le plus intime, s’était pris, lui aussi, d’enthousiasme pour la vie nomade des bohèmes. C’était un charmant blondin, vif comme la poudre, bon comme le pain et ne rêvant que batailles et aventures. Il avait huit ans, je n’en avais que sept, mais cette supériorité d’âge ne le rendait point plus méchant