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Sa figure rouge et mouillée de pleurs avait une expression de désespoir impuissant qui me rendait plus triste encore.

De temps en temps, un bruit passager de grelots ébranlait l’air. Sans doute, c’était une charrette de roulier s’en allant à Montmélian, à Grenoble ou revenant sur Chambéry. À chaque fois, mon cœur battait bien fort ! il me semblait, en écoutant ce tintement si connu, que nous étions moins seuls et moins abandonnés ; peu à peu le grincement des roues sur les cailloux se faisait plus sourd, le son se perdait dans le lointain, le silence revenait lourd et menaçant, et moi je recommençais à pleurer…

Oh ! pauvre bonne maman, où était-elle à cette heure où je me sentais si malheureuse ? Que faisait-on dans cette maison que j’avais volontairement quittée ? Ma chère, chère petite maison, je la voyais telle qu’elle devait être en ce moment : la cuisine déjà sombre s’illuminant tout d’un coup du reflet rouge de flamme montant droite et claire dans la grande cheminée ; Josette allant et venant, affairée, de la table au buffet ; le vieux chat gris accroupi sur le chenet, fixant de ses yeux jaunes la marmite où cuit notre souper… La soupe la bonne soupe chaude et fumante ! je ne la mangerais pas ce soir, ni demain, ni jamais plus peut-être !… Oh ! que je pleurais en pensant à tout cela !…

Un instant, probablement en traversant Saint-Jeoire, des cris d’enfants, des aboiements de chiens, des exclamations d’étonnement frappèrent nos