Page:Gex - Vieilles gens et vieilles choses (1885).pdf/93

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 86 —

monde s’est disperse, tout cet entrain s’est apaisé, tout ce vacarme s’est tu. La vieille auberge garde encore ses portes grandes ouvertes pour les rares voyageurs qui suivent l’ancienne route de Chambéry à Turin. Mais les vieux sont morts, mais la vaste remise est vide, la grande cuisine est silencieuse. Deux ou trois fois par jour, là-bas dans la plaine, passe rapide comme la pensée le monstre à la gueule de fer, crachant sa fumée noire, jetant comme un ricanement le cri strident de la vapeur qui s’échappe de ses flancs. Et comme une protestation inutile, le grincement de l’enseigne oubliée répond de loin à l’insulte de la locomotive triomphante…

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

La nuit tombait lorsque nous entrâmes dans l’auberge. La cuisine resplendissait d’un feu clair des vant lequel trois marmites et un coquemar bouillaient à grandes ondes. Une odeur de gigot braisé, de sauce à l’ail et d’oignons frits me fit penser de suite que j’avais faim.

La brave mère Satin avait quitté poêle et casseroles à notre arrivée, et, tout en poussant des hélas ! réitérés, nous prodiguait des caresses et des soins presque maternels.

— Oh ! les pauvres anges du bon Dieu comme ils sont martilisés ! Pauvres petits fenons, va !… Je vas vous faire prendre un bouillon bien conditionné, allez !… Oh ! si c’est Dieu possible de voir des