Page:Gibbon - Histoire de la décadence et de la chute de l'Empire romain, traduction Guizot, tome 1.djvu/399

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monarchies européennes. En Orient, où cette heureuse idée n’a point encore pénétré, un despote est souvent obligé de répandre le sang des peuples pour se frayer un chemin au trône de ses pères. Cependant, même en Asie, la sphère des prétentions est bornée, et ne renferme ordinairement que les princes de la maison régnante. Dès que le plus heureux des concurrens s’est délivré de ses frères par l’épée ou par le cordon, il ne conserve plus de soupçons contre les classes inférieures de ses sujets. Mais l’Empire romain, après que l’autorité du sénat fut tombée dans le mépris, devint un théâtre de confusion. Les rois, les princes de leur sang, et même les nobles des provinces, avaient été autrefois menés en triomphe devant le char des superbes républicains. Les anciennes familles de Rome, écrasées sous la tyrannie des Césars, n’existaient plus. Ces princes avaient été enchaînés par les formes d’une république, et jamais ils n’avaient eu l’espoir de se voir renaître dans leur postérité[1] ; ainsi leurs sujets ne pouvaient se former aucune idée d’une succession héréditaire. Comme la naissance ne donnait aucun droit au trône, chacun se persuada que son mérite devait l’y faire monter. L’ambition, n’étant plus retenue par le frein salutaire de la loi et du préjugé, prit un vol hardi ; et le dernier des hommes put, sans folie,

  1. Il n’y avait pas eu d’exemple de trois générations successives sur le trône ; seulement on avait vu trois fils gouverner l’empire après la mort de leurs pères. Malgré le divorce, les mariages des Césars furent en général infructueux.