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ET LE CARACTÈRE DE GIBBON

en France plutôt les gens de lettres auxquels il annonçait un homme fait pour aller plus loin, que les gens du monde, rarement satisfaits d’un ouvrage d’où ils ne trouvent aucun résultat positif à tirer, si ce n’est que l’auteur a beaucoup d’esprit. C’était dans le monde cependant que Gibbon désirait réussir ; la société a toujours eu pour lui de grands attraits, comme elle en a pour tous les cœurs qui, libres d’attachement et peu capables de sentimens très-forts, n’ont besoin pour animer suffisamment leur existence, que de cette communication de mouvement et d’idées, si vive dans la société qu’elle ne laisse par le temps de sentir ce qui lui manque de confiance et d’abandon. Gibbon savait que le premier titre pour être agréablement dans le monde, c’est d’être homme du monde, et c’est ainsi qu’il désirait être considéré ; il paraît même avoir porté quelquefois dans ce désir une faiblesse vaniteuse. On voit dans ses notes sur l’accueil que lui a fait le duc de Nivernois que, par la faute du docteur Maty, dont les lettres de recommandation étaient mal conçues, le duc, quoiqu’il l’ait reçu poliment, l’a traité, plus en homme de lettres qu’en homme du monde (man of fashion).

En 1763, deux ans après la publication de son Essai sur l’étude de la Littérature, il quitta de nouveau l’Angleterre pour voyager, mais dans une situation bien différente de celle où il se trouvait en la quittant dix ans auparavant. Précédé par une réputation naissante, il vint à Paris. Pour un homme du caractère de Gibbon, Paris, tel qu’il était alors, devait être le séjour du bonheur ; il y passa trois mois dans les sociétés les plus faites pour lui plaire, et il regretta de voir ce temps s’écouler si vite. Si j’eusse été riche et indépendant, dit-il, j’aurais prolongé et peut-être fixé mon séjour à Paris ; mais l’Italie l’attendait ; c’était là que du milieu des divers plans d’ouvrages qui, tour à tour adoptés et rejetés, occu-