Page:Gibbon - Histoire de la décadence et de la chute de l'Empire romain, traduction Guizot, tome 13.djvu/137

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toires, fait connaître, d’après ce qu’il avait vu, combien l’état de la chrétienté et la disposition des esprits s’opposaient à l’exécution de ce projet. « La chrétienté, dit-il, est un corps sans tête, une république qui n’a ni lois ni magistrats. Le pape et l’empereur ont l’éclat que donnent les grandes dignités : ce sont des fantômes éblouissans ; mais ils sont hors d’état de commander, et personne ne veut obéir. Chaque pays est gouverné par un souverain particulier, et chaque prince a des intérêts séparés. Quelle éloquence pourrait parvenir à réunir sous le même drapeau un si grand nombre de puissances discordantes par leur nature, et ennemies les unes des autres ? Si on pouvait rassembler leurs troupes, qui oserait faire les fonctions de général ? quel ordre établirait-on dans cette armée ? quelle en serait la discipline militaire ? qui voudrait entreprendre de nourrir une si énorme multitude ? qui pourrait comprendre leurs divers langages ou diriger leurs mœurs incompatibles ? Quel homme viendrait à bout de réconcilier les Anglais et les Français, Gènes et l’Aragon, les Allemands et les peuples de la Hongrie et de la Bohême ? Si on entreprend cette guerre avec un petit nombre de troupes, elles seront accablées par les infidèles ; avec un grand nombre, elles le seront par leur propre poids et par leur désordre. » Toutefois, ce même Æneas Sylvius, lorsqu’il fut devenu pape, sous le nom de Pie II, passa le reste de sa vie à négocier une guerre contre les Turcs. Il excita au concile de Mantoue quelques étincelles d’un