Page:Gibbon - Histoire de la décadence et de la chute de l'Empire romain, traduction Guizot, tome 13.djvu/44

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cipal secrétaire ; lui appuyant un poignard sur la poitrine, il l’obligea de dresser un firman ou patente du gouvernement d’Albanie, et de peur qu’une trop prompte découverte ne nuisît à ses projets, il fit massacrer, avec toute sa suite, l’innocent complice de sa fourberie. Suivi de quelques aventuriers instruits de son dessein, il se rendit précipitamment, à la faveur de la nuit, du champ de bataille dans ses montagnes paternelles. À la vue du firman, Croya lui ouvrit ses portes : dès qu’il fut maître de la citadelle, Scanderbeg quitta le masque de la dissimulation, et renonçant publiquement au prophète et au sultan des Turcs, il se déclara le vengeur de sa famille et de son pays. Les noms de religion et de liberté allumèrent une révolte générale ; la race martiale des Albanais jura unanimement de vivre et de mourir avec son prince héréditaire, et les garnisons ottomanes eurent le choix du martyre ou du baptême. À l’assemblée des états d’Épire, on choisit Scanderbeg pour conduire la guerre contre les Turcs, et tous les alliés s’engagèrent à fournir leur contingent d’argent et de soldats. Leurs contributions, ses domaines et les riches salines de Selina lui procurèrent un revenu annuel de deux cent mille ducats[1], dont, sans rien distraire pour les besoins du luxe, il employa exactement la totalité pour le service public. Affable dans ses manières et sévère dans sa discipline, il bannissait de son camp tous les vices

  1. Marinus nous a heureusement instruits de ses revenus (l. II, p. 44).