Page:Gibbon - Histoire de la décadence et de la chute de l'Empire romain, traduction Guizot, tome 13.djvu/76

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il observe avec beaucoup de raison qu’on doit toujours se méfier des exagérations des vaincus. Il calcule que pour chasser un boulet seulement de deux cents livres, il faudrait environ cent cinquante livres de poudre ; que cette quantité de poudre ne pouvant s’allumer à la fois, le coup partirait avant que la quinzième partie prît feu, et qu’ainsi le boulet aurait très-peu d’effet. Ignorant comme je le suis dans l’art de la destruction, j’ajouterai seulement que l’artillerie, aujourd’hui plus éclairée, préfère le nombre à la grandeur des pièces, la vivacité du feu au bruit ou même à l’effet d’une seule explosion. Cependant je n’ose rejeter le témoignage positif et unanime des contemporains, et il doit paraître assez vraisemblable que dans leurs efforts ambitieux et peu éclairés, les premiers fondeurs passèrent les bornes de la modération. Un canon turc, plus considérable que celui de Mahomet, garde encore l’entrée des Dardanelles ; et si l’usage en est incommode, une épreuve récente a montré que l’effet était loin d’en être méprisable. Trois cents livres de poudre chassèrent un boulet de pierre de onze quintaux, à la distance de six cents toises : le boulet se sépara en trois morceaux qui traversèrent le canal, et, laissant la mer couverte d’écume, allèrent par ricochets frapper et rebondir contre la colline opposée[1].

  1. Le baron de Tott (t. III, p. 85-89), qui fortifia les Dardanelles contre les Russes dans la dernière guerre, a décrit d’un ton animé et même comique, sa prouesse et la