Page:Gibbon - Histoire de la décadence et de la chute de l'Empire romain, traduction Guizot, tome 2.djvu/299

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courage dans la guerre de la Gaule[1] ; mais dès qu’il fut arrivé à Rome, il s’abandonna, sans aucune retenue, au luxe de la ville et à l’abus de l’autorité. Il était doux, et cependant cruel, livré aux plaisirs, mais dénué de goût ; et quoique singulièrement susceptible de vanité, il paraissait insensible à l’estime publique. Dans le cours de quelques mois il épousa et répudia successivement neuf femmes qu’il laissa, pour la plupart, enceintes ; et malgré tant d’engagemens légitimes si souvent rompus, il trouvait le temps de satisfaire une foule d’autres passions qui le couvraient d’opprobre, et déshonoraient les premières familles de l’état. Rempli d’une haine implacable contre tous ceux qui pouvaient se rappeler son ancienne obscurité, ou désapprouver sa conduite présente, il eut la bassesse de persécuter les compagnons de son enfance qui n’avaient point assez respecté la majesté future de l’empereur ; et les sages conseillers que son père avait placés auprès de lui pour guider sa jeunesse sans expérience, furent condamnés à l’exil ou au dernier supplice. Carin traitait les sénateurs avec fierté ; il affectait de leur parler en maître, et il leur disait souvent qu’il avait intention de distribuer leurs biens à la populace de Rome. Ce fut d’entre les derniers de cette populace qu’il tira ses favoris et ses ministres. On voyait dans le palais, à la table même du prince, des chanteurs,

  1. Némésien, Cynegeticon, v. 69. Il était contemporain, mais poète.