Page:Gibbon - Histoire de la décadence et de la chute de l'Empire romain, traduction Guizot, tome 3.djvu/122

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humaine qui, abandonnée sans secours à sa propre force, est incapable de concevoir les mystères de la foi, avait déjà remporté une victoire facile sur les folies du paganisme. Quand Tertullien et Lactance voulurent en démontrer l’extravagance ou la fausseté, ils furent obligés d’emprunter l’éloquence de Cicéron, ou la plaisanterie de Lucien. La contagion du scepticisme répandu dans ces écrits s’était étendue bien au-delà du cercle de leurs lecteurs. L’incrédulité avait gagné la plus grande partie de la société, depuis le philosophe jusqu’à l’homme livré aux plaisirs ou aux affaires ; depuis le noble jusqu’au plébéien ; depuis le maître jusqu’à l’esclave domestique qui servait à sa table, et qui écoutait avec plaisir la libre conversation des convives. En public, tous ces philosophes affectaient de traiter avec vénération et avec décence les institutions religieuses de leur patrie ; mais leur mépris intérieur perçait à travers le voile léger dont ils savaient à peine se couvrir. Le peuple même, lorsqu’il voyait ses divinités rejetées et tournées en ridicule par ceux dont il avait coutume de respecter le rang et les talens, se formait des doutes et des soupçons sur la vérité de la doctrine qu’il avait adoptée avec la foi la plus implicite. La destruction des anciens préjugés laissait une portion très-nombreuse du genre humain dans une situation pénible et accablante. Un état de scepticisme et d’incertitude peut amuser quelques esprits curieux et réfléchis ; mais la pratique de la superstition est si naturelle à la multitude, que le charme