Page:Gibbon - Histoire de la décadence et de la chute de l'Empire romain, traduction Guizot, tome 3.djvu/186

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il juge à propos de supprimer. Il nous est donc permis d’imaginer quelque cause probable qui ait produit l’animosité de Néron contre les chrétiens, que leur obscurité et leur innocence semblaient devoir mettre à l’abri de son indignation et même soustraire à ses regards[1]. Les Juifs qui, opprimés dans leur propre patrie, formaient un peuple nombreux au milieu de la capitale, paraissaient bien plus exposés aux soupçons de l’empereur et de ses sujets. Une nation vaincue, déjà connue par son horreur pour le joug romain, pouvait, sans beaucoup d’invraisemblance, être soupçonnée d’avoir recours aux moyens les plus atroces, dans la vue de satisfaire sa vengeance implacable. Mais les Juifs avaient de puissans défenseurs dans le palais, et même dans le cœur du tyran. La belle Poppée, sa femme et sa maîtresse, et un comédien de la race d’Abraham, qui avait gagné sa faveur, avaient déjà intercédé pour des sujets persécutés[2]. Il fallait offrir à leur place d’autres victimes ; et l’on pouvait facilement insinuer que l’incendie de Rome ne devait pas être

  1. La lecture seule du passage de Tacite suffit, comme je l’ai déjà dit, pour faire voir que la secte des chrétiens n’était pas si obscure qu’elle n’eût déjà été réprimée (repressa), et qu’elle ne passait point pour innocente aux yeux des Romains. (Note de l’Éditeur.)
  2. Le nom du comédien était Aliturus. C’était par le même canal, qu’environ deux ans auparavant Josèphe (De vitâ suâ, c. 3) avait obtenu le pardon et la liberté de quelques prêtres juifs qui étaient prisonniers à Rome.