Page:Gibbon - Histoire de la décadence et de la chute de l'Empire romain, traduction Guizot, tome 5.djvu/184

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que par une prévoyance active que le moindre accident ou la moindre méprise était susceptible de déranger. Il était également dangereux d’exciter, par l’apparence de la crainte ou du mépris, l’insolence ou l’indignation des Goths ; et le salut de l’état semblait dépendre de la prudence et de l’intégrité des généraux de Valens. Dans cette circonstance difficile, le gouvernement militaire de la Thrace était confié à Maxime et à Lupicinus, dont les âmes vénales eussent sacrifié toute considération du bien public à l’espoir du plus léger profit, et dont la seule excuse était leur incapacité qui leur dérobait les pernicieuses conséquences de leur coupable administration. Au lieu d’obéir aux ordres de l’empereur et de satisfaire avec une honorable générosité aux demandes des Goths, ils se firent bassement et cruellement un revenu des besoins de ces Barbares affamés : les vivres les plus communs se vendirent à un prix exorbitant ; au lieu de viandes saines et nourrissantes, on remplissait les marchés de chair de chien et d’animaux dégoûtans morts de maladie. Pour obtenir une livre de pain, un Goth sacrifiait souvent la possession d’un esclave utile, mais qu’il ne pouvait pas nourrir, et une très-petite quantité de viande s’évaluait jusqu’à dix livres d’un métal précieux, mais devenu inutile[1].

  1. Decem libras. Il faut sous-entendre le mot d’argent. Jornandès laisse percer les passions et les préjugés d’un Goth. Les méprisables Grecs, Eunape et Zosime, détruisent la tyrannie des Romains, et parlent avec horreur de la perfidie des Barbares. Ammien, historien patriote, passe légè-