Page:Gibbon - Histoire de la décadence et de la chute de l'Empire romain, traduction Guizot, tome 6.djvu/151

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louable. Il employa et perfectionna tous les moyens de concussion déjà connus avant lui ; et Claudien nous a laissé un tableau original et frappant de la vente publique de l’état mis à l’enchère. « L’impuissance de l’eunuque, dit cet agréable poète satirique, ne sert qu’à enflammer son avarice. La main qui s’est essayée par de petits vols dans le coffre de son maître, se saisit aujourd’hui des richesses de l’univers, et cet infâme brocanteur de l’empire met à prix, morcèle et vend toutes les provinces romaines depuis le Tigre jusqu’au mont Hœmus. L’un obtient le proconsulat de l’Asie en échange de sa maison de campagne ; l’autre achète la Syrie avec les diamans de sa femme ; un troisième se plaint d’avoir échangé son patrimoine contre le gouvernement de la Bithynie. On trouve sur une grande liste publiquement exposée dans l’antichambre d’Eutrope, le prix fixé pour toutes les provinces ; les différentes valeurs du Pont, de la Galatie et de la Lydie y sont soigneusement énoncées. Le prix de la Lycie n’est que de quelques milliers de pièces d’or ; mais l’opulente Phrygie exige une somme beaucoup plus considérable. L’eunuque cherche à cacher sa propre turpitude dans l’ignominie générale ; et comme il a été vendu lui-même, il voudrait vendre à son tour tout le genre humain. La concurrence des acheteurs tient quelquefois long-temps suspendues les balances qui contiennent le sort d’une province et la fortune de ses habitans, et le juge impartial attend, dans une inquiète incertitude, qu’on ajoute, d’un côté ou de