Page:Gibbon - Histoire de la décadence et de la chute de l'Empire romain, traduction Guizot, tome 6.djvu/495

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

cessivement élevée de neuf pieds à la hauteur de soixante[1]. L’anachorète y passa trente années exposé à l’ardeur brûlante des étés et aux froids rigoureux de l’hiver. L’habitude et la pratique lui apprirent à se maintenir sans crainte et sans vertiges dans ce poste difficile, et à y prendre différentes postures de dévotion. Il priait quelquefois debout et les bras tendus en forme de croix ; mais son exercice le plus ordinaire était de courber et de redresser alternativement son corps décharné en baissant sa tête presque jusqu’à ses pieds. Un spectateur curieux compta jusqu’à douze cent quarante-quatre répétitions, et n’eut pas la patience de pousser plus loin son calcul. Les suites d’un ulcère[2] à la cuisse abrégèrent la vie de Siméon Stylite, mais n’interrompirent point sa singulière pénitence, et il mourut patiemment sans bouger de dessus sa colonne. Un prince dont le caprice infligerait de pareilles tortures, passerait pour le plus cruel des tyrans ; mais tout le pouvoir d’un tyran ne parviendrait pas à prolonger par force la mi-

  1. La circonférence étroite de deux coudées ou trois pieds qu’Evagrius donne au sommet de la colonne, ne s’accorde ni avec le bon sens ni avec les faits et les règles de l’architecture ; ceux qui la voyaient d’en bas pouvaient aisément se tromper.
  2. Je ne dois point taire une ancienne médisance relative à l’ulcère de saint Siméon Stylite : on raconte que le diable ayant pris la forme d’un ange, invita le saint à monter, comme Élie, dans un chariot enflammé. Le saint leva trop précipitamment le pied, et Satan saisit cette occasion de le punir de sa vanité.