Page:Gibbon - Histoire de la décadence et de la chute de l'Empire romain, traduction Guizot, tome 7.djvu/362

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suite de ses fatigues ou de ses larmes continuelles ; et, pour adoucir ses tristes journées, il voulait chanter ses malheurs sur la lyre. Pharas fut ému de pitié, et il envoya les présens singuliers qui lui étaient demandés. Cependant son humanité même lui fit redoubler de vigilance, afin de déterminer son prisonnier à adopter une résolution avantageuse aux Romains et salutaire à lui-même. La nécessité et la raison triomphèrent à la fin de l’opiniâtreté de Gelimer ; un envoyé de Bélisaire lui confirma, au nom de l’empereur, les promesses de sûreté personnelle et d’un traitement honorable. Le roi des Vandales descendit de sa montagne. La première entrevue publique eut lieu dans un des faubourgs de Carthage ; et lorsque le prince captif aborda son vainqueur, il poussa un éclat de rire. La foule put croire que les chagrins avaient altéré la raison de Gelimer ; mais les observateurs habiles jugèrent que, par une gaîté si déplacée dans sa triste situation, il voulait faire connaître combien les scènes passagères des grandeurs humaines méritent peu de nous occuper sérieusement[1].

On put bientôt après justifier ce mépris par un

  1. Hérodote décrit heureusement les bizarres effets du chagrin dans un autre prince captif : je veux parler de Psammeticus d’Égypte, à qui de petits malheurs arrachèrent des larmes, tandis qu’il ne parut point ému d’autres malheurs bien plus grands (l. III, c. 14). Bélisaire pouvait étudier son rôle dans l’entrevue de Paul-Émile et de Persée ; mais il est probable qu’il n’avait jamais lu Tite-Live ou Plutarque, et sa générosité n’avait pas besoin de leçons.