Page:Gibbon - Histoire de la décadence et de la chute de l'Empire romain, traduction Guizot, tome 7.djvu/363

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exemple de cette autre vérité non moins commune, que la flatterie s’attache au pouvoir, et l’envie au mérite supérieur. [Retour et triomphe de Bélisaire. A. D. 534. Automne.]Les chefs de l’armée romaine osèrent être jaloux d’un héros. Ils assuraient avec perfidie, dans leurs dépêches particulières, que le conquérant de l’Afrique, fier de sa réputation et de l’attachement public, songeait à monter sur le trône des Vandales. Justinien prêta trop patiemment l’oreille à ces accusations, et le silence qu’il garda fut un effet de ses soupçons plutôt que de sa confiance. On laissa, il est vrai, au choix de Bélisaire, l’alternative honorable de demeurer en Afrique ou de revenir dans la capitale ; mais d’après des lettres interceptées et ce qu’il savait du caractère de l’empereur, il sentit qu’il devait renoncer à la vie, ou arborer l’étendard de la révolte, ou enfin confondre ses ennemis par sa présence et sa soumission. L’innocence et le courage déterminèrent son choix ; il fit promptement embarquer ses gardes, ses captifs et ses trésors ; et sa navigation fut si heureuse, qu’il arriva à Constantinople avant qu’on sût certainement qu’il avait quitté le port de Carthage. Une loyauté si franche dissipa les soupçons de Justinien ; la reconnaissance publique fit taire et irrita l’envie, et un troisième vainqueur d’Afrique obtint les honneurs du triomphe, cérémonie que la ville de Constantin n’avait jamais vue, et que l’ancienne Rome, depuis le règne de Tibère, avait réservée aux heureuses armes des césars[1].

  1. Le titre d’imperator ayant perdu le sens militaire que lui donnèrent les premiers Romains, et le christianisme