Page:Gibbon - Histoire de la décadence et de la chute de l'Empire romain, traduction Guizot, tome 8.djvu/115

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fait embarquer une provision considérable de grains ; les navires échappèrent aux Barbares, mais ils tombèrent entre les mains d’un gouverneur avide, qui donnait aux soldats une faible ration, et vendait le reste aux plus riches des habitans. Le médimne, ou la cinquième partie d’un quarter de froment, se vendait sept pièces d’or ; un bœuf, butin rare et précieux enlevé aux ennemis, se paya jusqu’à cinquante : le progrès de la famine accrut encore cette valeur exorbitante, et engagea souvent l’avarice des mercenaires à se priver encore de la faible portion de vivres à peine suffisante pour soutenir leur existence. Une pâte insipide et malsaine, qui contenait trois fois plus de son que de farine, apaisait la faim des pauvres ; ils se virent réduits peu à peu à se nourrir de chevaux, de chiens, de chats et de souris, à manger les herbes, et même les orties qui croissaient au milieu des ruines de la ville. Une foule de spectres pâles, exténués, accablés par la maladie, se rassembla autour du palais du gouverneur : ils lui remontrèrent vainement que le devoir d’un maître est de nourrir ses esclaves ; ils le supplièrent humblement de pourvoir à leur subsistance, ou de leur permettre de sortir de la place, ou enfin de prononcer sur-le-champ l’arrêt de leur mort. Bessas répondit avec la tranquillité d’un homme insensible, qu’il ne pouvait nourrir les sujets de l’empereur ; qu’il compromettrait sa sûreté en les renvoyant, et que les lois ne lui permettaient pas de les faire mourir. Ils auraient pu cependant apprendre d’un de leurs