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dramatique s’est proposé de plaire aux sens plutôt qu’à l’esprit ; c’est alors, par mesure d’attrait, que la femme est montée sur la scène, d’où vous ne la délogerez plus. Mais revenons aux arts plastiques. Je songe tout à coup à l’admirable Concert Champêtre du Giorgione (où pourtant vous n’irez point, j’espère, voir une œuvre de décadence), qui représente, vous le savez, assemblés dans un parc, deux femmes nues, deux jeunes musiciens habillés.

— Plastiquement, littérairement du moins on n’oserait affirmer que les corps de ces femmes sont beaux ; too fat, comme dit Stevenson ; mais quelle blondeur de matière ! quelle molle, profonde et chantante luminosité ! Ne peut-on dire que, si la beauté masculine triomphe dans la sculpture, par contre la chair féminine prête plus au jeu des couleurs ? Voici bien, pensais-je devant ce tableau, l’antipode de l’art antique : éphèbes vêtus, femmes nues ; sans doute le sol où put éclore ce chef-d’œuvre dut rester bien pauvre en sculpture.

— Et bien pauvre en pédérastie ?

— Oh ! sur ce dernier point, un petit tableau du Titien me fait craindre de m’avancer.

— Quel tableau ?

Le Concile de Trente qui, tout au premier plan, mais de côté, dans l’ombre, présente des groupes de seigneurs ; deux de-ci, deux de-là, en postures peu équivoques. Et peut-être y faut-il voir une sorte de réaction licencieuse contre ce que vous appeliez tout à l’heure « la sainteté du lieu », mais, sans doute, et certains mémoires du temps nous aident à le croire, ces mœurs étaient-elles devenues assez communes pour qu’on ne s’en offusquât pas plus que ne font dans