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haussement d’épaules ; mais il continuait sans m’écouter :

— C’est ce que Barrès a si bien compris lorsque, souhaitant peindre dans sa Bérénice une créature toute proche de la nature et n’obéissant qu’à l’instinct, il en fit une lesbienne, l’amie de la petite « Bougie Rose ». Ce n’est que par éducation qu’il l’élève jusqu’à l’amour hétérosexuel.

— Vous prêtez à Maurice Barrès de secrètes intentions qu’il n’avait pas.

— Dont peut-être il ne prévoyait pas les conséquences, pouvez-vous dire tout au plus ; car, dans les premiers livres de votre ami, vous savez bien que l’émotion même est intentionnelle. Bérénice représente pour moi, dit-il dogmatiquement, la force mystérieuse, l’impulsion du monde ; je trouve même, quelques lignes plus loin, une subtile intuition et définition de son rôle anagénétique, lorsqu’il parle de la sérénité de sa fonction qui est de pousser à l’état de vie tout ce qui tombe en elle ; fonction qu’il compare et oppose à sa catagénétique « agitation d’esprit ».

Le livre de Barrès n’était pas assez présent à mon esprit pour que je puisse discuter ; il continuait déjà :

— Je serais curieux de savoir si Barrès connaissait, si voisine de sa pensée, une opinion de Goethe sur l’uranisme, que rapporte le chancelier Müller ? (Avril 1830). Permettez que je vous la lise :

« Goethe entwickelte, wie diese Verirrung eigentlich daher komme, dass, nach rein aesthetischem Masstab, der Mann weit schöner, vorzüglicher, vollendeter als die Frau sei. »