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Plutarque seulement, qui, réunis formeraient à eux seuls tout un livre. — Les voulez-vous ? Je les tiens à votre disposition.

 

Je ne crois pas qu’il y ait une opinion à la fois plus fausse et plus accréditée que celle qui considère les mœurs homosexuelles et la pédérastie, comme le triste apanage des races efféminées, des peuples en décadence, voire même comme une importation de l’Asie[1]. C’est au contraire de l’Asie que le mol ordre ionien vint supplanter la mâle architecture dorienne ; la décadence d’Athènes commença lorsque les Grecs cessèrent de fréquenter les gymnases ; et nous savons à présent ce qu’il faut entendre par là. L’uranisme cède à l’hétérosexualité. C’est l’heure où nous la voyons triompher également dans l’art d’Euripide[2] et avec elle, comme un complément naturel, la misogynie.

— Pourquoi « misogynie » tout à coup ?

— Que voulez-vous ? C’est un fait et fort important ; réciproque de ce que je vous faisais observer tout à l’heure.

— Quoi donc ?

— Que nous devons à l’uranisme le respect de la femme et, partant, les admirables figures de femmes et de jeunes filles que l’on trouve dans le théâtre de Sophocle et dans celui de Shakespeare. Et, tout comme le respect de la femme accompagne ordinairement l’uranisme, voyons-nous la femme moins honorée, dès qu’elle est

  1. « Les Perses, à l’école des Grecs, ont appris à s’accoupler avec des garçons. »
    (Hérodote, I, 135.)
  2. Athénée, XIII, 81 : « Sophocle aimait les jeunes garçons autant qu’Euripide les femmes. » — V. Athénée, chap. LXXXII.