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le bataillon des amants, il leur donna une larme et s’écria : « Périssent misérablement ceux qui soupçonneraient ces hommes d’avoir été capables de faire ou d’endurer rien de déshonorant. »

— Vous aurez beau faire, m’écriai-je alors. Vous ne parviendrez pas à me faire considérer ces héros comme des débauchés.

— Mais qui cherche à vous les présenter comme tels ? Et pourquoi ne voulez-vous pas admettre que cet amour soit capable, tout comme l’autre, d’abnégation, de sacrifice et même parfois de chasteté[1] ? Toutefois la suite du récit de Plutarque nous indique que si parfois, souvent peut-être, il menait à la chasteté, il n’y prétendait pourtant point.

Vous savez que je pourrais citer, à l’appui de cela, maint exemple, citer des textes, et non de

  1. « Ce qui tourmentait vivement Agésilas, c’était l’amour que le jeune Mégabatès avait fait naître dans son cœur, quoique, en présence de Mégabatès, fidèle à son ambition de n’être jamais vaincu, il combattît ses désirs de toutes ses forces. Un jour même que Mégabatès s’avançait pour le saluer et lui donner un baiser, il se détourna : l’enfant rougit et s’arrêta ; et, dans la suite, Mégabatès ne lui adressa plus son salut que de loin. À son tour, Agésilas en fut contrarié, et se repentit d’avoir évité ce baiser ; et il affecta de demander, d’un air étonné, pourquoi Mégabatès ne le saluait plus d’un baiser. « C’est toi qui en es cause, lui dirent ses amis, puisque tu n’as pas voulu souffrir, que tu as évité le baiser de ce bel enfant, comme si tu en avais peur. À présent même encore il se déciderait aisément à revenir au baiser, mais à condition que tu ne te détournes plus. » Agésilas, après être demeuré un instant pensif et silencieux : « Il est inutile que vous l’y engagiez, dit-il ; car le combat que je livre ici contre ce témoignage de sa tendresse, me fait plus de plaisir que si tout ce que j’ai devant moi se changeait en or. » Tel était Agésilas, tant que Mégabatès fut auprès de lui. Mais, quand Mégabatès fut parti, il brûla d’une passion ardente : et, si cet enfant fût revenu et eût apparu devant lui, il n’est pas sûr qu’Agésilas eût eu la force de refuser ses baisers. »
    Plutarque, Vie d’Agésilas.
    Trad. Pierron, III, 77.