Page:Gide - Corydon, 1925.djvu/133

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
131

consentir à se laisser charger ! Vous plaisantez !

Je dis que les excitations éhontées des images, des théâtres, des music-halls et de maints journaux, ne travaillent qu’à détourner la femme de ses devoirs ; à faire de la femme une amante perpétuelle, qui ne consente plus à la maternité. Je dis que cela est autrement dangereux pour l’État que l’excès même de l’autre débauche — et que cette autre débauche comporte nécessairement moins de dépense et moins d’excès.

— Ne vous apparaît-il pas que votre goût particulier et votre intérêt vous entraînent ?

— Et quand cela serait ! L’important n’est pas de savoir si j’ai intérêt à défendre ou non cette cause, mais si elle vaut d’être défendue.

— De sorte que, non content de tolérer l’uranisme, vous prétendez en faire une vertu civique.

— Ne me faites pas dire d’absurdités. Que la convoitise soit homo ou hétérosexuelle, la vertu c’est de la dominer. Je vais y venir tout à l’heure. Mais, sans prétendre avec Lycurgue (du moins à ce que rapporte Plutarque) qu’un citoyen ne pouvait être vraiment honnête et utile à la République s’il n’avait un ami[1], je prétends que l’uranisme n’est en lui-même nullement néfaste au bon ordre de la société, de l’État ; tout au contraire.

— Nierez-vous donc que l’homosexualité s’accompagne souvent de certaines tares intellectuelles, ainsi que le prétend plus d’un de vos confrères ? (c’est au médecin que je m’adresse).

— Si vous le voulez bien, nous laisserons de

  1. « Les amoureux partageaient la honte ou la gloire des enfants auxquels ils étaient attachés… ils travaillaient tous à l’envi à qui rendrait l’ami plus vertueux. » (Vie de Lycurgue.)