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j’estime que cette sorte d’attachement serait le plus sûr moyen de guérir

J’ai vu souhaiter d’être fille, et une belle fille, depuis treize ans jusques à vingt-deux — et après cet âge, de devenir un homme, dit La Bruyère — (Des femmes, § 3) reculant un peu tard, à mon avis, le moment où se précise la direction hétérosexuelle de l’adolescent. Jusqu’alors, son désir est flottant et reste à la merci des exemples, des indications, des provocations du dehors. Il aime à l’aventure ; il ignore, et, jusqu’à dix-huit ans à peu près, invite plutôt à l’amour que lui-même ne sait aimer.

Tant qu’il reste ce « molliter juvenis » dont parle Pline, plus désirable et désiré que désirant, si quelque aîné s’éprend de lui, je pense, comme on pensait avant-hier dans cette civilisation dont vous ne consentez à admirer que l’écorce, je pense que rien ne peut se présenter pour lui de meilleur, de préférable qu’un amant. Que cet amant, jalousement, l’entoure, le surveille, et lui-même exalté, purifié par cet amour, le guide vers ces radieux sommets que l’on n’atteint point sans l’amour. Que si tout au contraire cet adolescent tombe entre les mains d’une femme, cela peut lui être funeste ; hélas ! on n’a que trop d’exemples de cela. Mais comme, à cet âge trop tendre, l’adolescent ne saurait faire encore qu’un assez médiocre amoureux, il n’est heureusement pas naturel qu’une femme aussitôt s’en éprenne.

De treize à vingt-deux ans (pour reprendre l’âge assigné par La Bruyère) c’est, pour les Grecs, l’âge de la camaraderie amoureuse, de l’exaltation commune, de la plus noble émulation. Après quoi seulement le garçon selon leurs