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Combien fut grande ma surprise, en poursuivant ma lecture, de ne rencontrer, de page en page, à peu près rien que je ne dusse approuver. Partout l’on sent le plus sincère effort de ne pas condamner sans juger, de ne pas juger sans comprendre, et j’estime qu’on ne saurait pousser plus loin l’intelligence de ce que pourtant l’on désapprouve.

Si quelques objections, irrésistiblement, se soulèvent en mon esprit au sujet de ce qui touche à ma personne ou à mes écrits, est-ce uniquement parce que mon amour-propre entre en jeu ? Je ne crois pas. Il me paraît que, dans le portrait que vous tracez de moi, certains traits sont un peu grossis, d’autres un peu faussés (sans du reste aucune intention malveillante) et que, pour vous donner plus de raisons de la combattre, parfois vous outrez un peu ma pensée. Enfin cette évolution, cette courbe que vous découvrez dans mon œuvre et dans mon caractère, et que les titres mêmes de vos derniers chapitres dénoncent, cet enhardissement progressif, c’est vous qui l’inventez.

Ainsi vous signalez mon Immoraliste ; mais ne parlez pas de Saül, bien plus topique assurément, publié en 1902 également, mais écrit cinq ans plus tôt. Il ne dépendait pas de moi que la pièce fût jouée ; je fis ce que je pus pour la produire ; Antoine faillit très courageusement m’y aider… Je ne rappelle pas cela pour me targuer d’avoir devancé Proust, mais parce qu’il n’est pas dans mon humeur de jouer ce rôle du Moron de la farce, qui ne descend de son arbre pour combattre l’ours, qu’un autre ne l’ait préalablement mis par terre.

De même, selon vous, je n’aurais « pris que