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vous êtes donc ici, Ser Brunetto ?

Siete voi qui… Que de pensées contradictoires, quel tumulte intérieur dans ces trois mots !

Ainsi donc, c’était vrai… je ne l’avais pas cru, je ne l’avais jamais cru. On avait beau me le dire, me le répéter, m’apporter des preuves, je ne le croyais pas, je ne voulais pas le croire. Car je vous aimais infiniment. J’avais une telle vénération pour votre enseignement, je chérissais tellement votre pensée et votre entretien, et tout ce qui venait de vous m’était si cher et si précieux que je n’eusse point toléré qu’en ma présence on osât reproduire cette calomnie. Et pourtant ce n’était pas une calomnie. C’était vrai. Mais dans mon immense affection pour vous, je ne voulais pas qu’une chose pareille fût vraie. Et pourtant, siete voi qui, vous êtes ici, Ser Brunetto !

Écoutons-le parler maintenant d’un homosexuel qu’il n’aime pas. Il commence par l’appeler (ou mieux par le faire appeler) une teigne ! (Inf. XV. 111.)

Qui est-ce ? C’est tout bonnement son pasteur, Andrea de Mozzi, évêque de Florence, de 1287 (Dante avait alors 22 ans) à 1295. Boccace nous raconte dans son Commentaire l’histoire de ce personnage : « À cause de cette misère, dans laquelle il se montrait fort déshonnête pécheur, à cause de ses autres sottises (sic) (altre sciocchezze) que le vulgaire raconte encore il fut, par l’œuvre de Messer Tommaso de Mozzi, son frère, lequel était fort honorable chevalier, jouissant d’un grand crédit auprès du pape, et désireux d’arracher une telle abomination à sa propre