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vue et à celle de ses concitoyens, permuté par le pape à l’évêché de Vicence. » L’intervention du frère qui trouve « que le scandale a assez duré » comporte quelque chose de dramatique, ne trouvez-vous pas[1] ? Mais Dante n’y prend pas garde : il ne lâche pas sa victime ; il la poursuit d’Arno in Bacchigline, et dans une effrayante synthèse mêle ici le vice à la mort.

dove lasciò li mal protesi nervi
dove lasciò li mal prot(Inf. XV. 114.)

Ah ! Cette fois-ci (et c’est la troisième observation que j’entendais vous soumettre) il faut bien l’avouer, Dante ne reste pas chastement imprécis.

À Vicence, le coupable prélat laissa « ses nerfs mal suspendus » ou « son système nerveux mal équilibré » comme ne manqueront pas de dire les vertueux exégètes. En réalité, Dante dit « ses nerfs tendus mal à propos ». Et rarement, je crois, a-t-on donné de l’inversion sexuelle une définition plus brève, plus heureuse, plus complète et en même temps plus impartiale.

En résumé, je tenais à faire observer :

1. que les âmes rencontrées par Dante et Virgile aux chants XV et XVI de L’Enfer étaient — sans aucun doute possible — celles d’invertis ;

2. que Dante ne témoignait pas une indulgence particulière aux homosexuels, mais que

  1. Un autre commentateur, Benvenutil d’Imola, raconte une autre « sottise » de ce prélat qu’il appelle à son tour « magnus bestionus ». Il comparait la divine Providence à un rat : « Saepe publice praedicebat populo dicens multa ridiculosa. Inter alia dicebat quod providentia Dei erat similis muri, qui slans super trabe videt quaccumque geruntur sub se in domo et nemo videt eum. »