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L’an 190. un scandaleux procès remit sur le tapis une fois encore l’irritante question de l’uranisme. Dans les salons et les cafés, huit jours durant, on ne parla plus de rien d’autre. Las d’entendre à ce sujet s’exclamer ou théoriser au hasard les ignorants, les butés et les sots, je souhaitai d’éclairer mon jugement et, ne reconnaissant qu’à la raison, non point au seul tempérament, le droit de condamner ou d’absoudre, je résolus d’aller interviewer Corydon. Il ne protestait point, m’avait-on dit, contre certains penchants dénaturés dont on l’accuse ; j’en voulus avoir le cœur net et savoir ce qu’il trouvait à dire pour les excuser.

Je n’avais pas revu Corydon depuis dix ans. C’était alors un garçon plein de flamme, doux et fier à la fois, généreux, serviable, dont le regard déjà forçait l’estime. Ses études de médecine avaient été des plus brillantes et ses premiers travaux remporté l’applaudissement des gens de métier. Au sortir du lycée où nous avions été condisciples, longtemps une assez étroite amitié nous unit. Puis des années de voyage nous séparèrent, et lorsque je revins