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m’installer à Paris, la déplorable réputation que ses mœurs commençaient de lui valoir me retint de le fréquenter.

En pénétrant dans son appartement, je n’eus point, je l’avoue, la fâcheuse impression que je craignais. Il est vrai que Corydon ne la donne pas non plus par sa mise, qui reste correcte, avec même une certaine affectation d’austérité. Mes yeux cherchaient en vain, dans la pièce où il m’introduisit, ces marques d’efféminement que les spécialistes retrouvent à tout ce qui touche les invertis, et à quoi ils prétendent ne s’être jamais trompés. Toutefois on pouvait remarquer, au-dessus de son bureau d’acajou, une grande photographie d’après Michel-Ange : celle de la formation de l’homme — où l’on voit, obéissant au doigt créateur, la créature Adam, nue, étendue sur le limon plastique, tourner vers Dieu son regard ébloui de reconnaissance. Corydon professe un certain goût pour l’œuvre d’art, derrière lequel il eût pu s’abriter si j’avais été m’étonner du choix de ce sujet spécial. Sur la table de travail, le portrait d’un vieillard à grande barbe blanche, que je reconnus aussitôt pour celui de l’Américain Walt Whitman, car il figure en tête d’une traduction que M. Bazalgette vient de donner de son œuvre. M. Bazalgette venait de publier également une biographie de ce poète, volumineuse étude dont j’avais récemment pris connaissance, et qui me servit de prétexte pour engager l’entretien.