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n’aime point à raconter. Pourtant je crois que vous m’écoutez bien, et peut-être mon récit vous aidera-t-il à parler moins légèrement de ces choses.

Je l’assurai, sinon de ma sympathie, du moins de mon attention déférente :

— Vous savez donc que j’étais fiancé, commença-t-il ; j’aimais celle qui devait devenir ma femme, tendrement, mais d’un amour quasi mystique et, naturellement, dans mon inexpérience, j’imaginais à peine qu’il fût une autre belle façon d’aimer. Ma fiancée avait un frère, plus jeune qu’elle de quelques années, que je voyais souvent et qui s’était épris pour moi d’une affection des plus vives.

— Ah ! ah ! fis-je involontairement.

Corydon me regarda sévèrement.

— Non : il ne se consomma rien d’impur entre nous ; sa sœur était ma fiancée.

— Pardonnez-moi.

— Mais comprenez mon trouble, mon désarroi quand, certain soir de confidence, il me fallut bien reconnaître que ce garçon, non seulement voulait mon amitié, mais sollicitait aussi ma caresse.

— Votre tendresse, voulez-vous dire. Comme beaucoup d’enfants, parbleu ! C’est à nous, les aînés, d’y veiller.

— J’y veillai de reste, je vous jure. Mais Alexis n’était plus un enfant ; c’était un adolescent plein de grâce et de conscience ; les aveux qu’il me fit entre temps, me déconcertèrent d’autant plus que, dans tout ce qu’il me révélait, qu’il observait en lui précocement avec une perspicacité singulière, il me semblait me