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ma misère ; aucun de mes amis ne s’en doutait ; je me serais fait écarteler plutôt que d’en révéler rien à personne. Mais cette comédie de bonne humeur et de gaillardise, que, pour écarter tout soupçon, je me croyais forcé de jouer, me devenait intolérable. Sitôt seul je me laissais sombrer.

La gravité, l’accent convaincu de sa voix forçaient mon intérêt.

— Que d’imagination dans tout cela ! lui dis-je doucement. Simplement vous étiez amoureux ; partant, plein de craintes. Sitôt après le mariage, le désir tout normal aurait suivi l’amour.

— Cela se dit, je sais… Combien j’avais raison d’être sceptique !

— Vous semblez à présent peu enclin à l’hypocondrie. Comment vous êtes-vous guéri de ce mal ?

— À cette époque je lisais beaucoup. Au cours de mes lectures je me heurtai à une phrase qui me fut d’un avertissement salutaire. Elle est de l’abbé Galiani : « L’important, écrivait-il à Mme d’Épinay, — l’important n’est pas de guérir, mais bien de vivre avec ses maux. »

— Que ne dites-vous cela à vos malades ?

— Je le dis à ceux qui ne peuvent guérir. Ces paroles vous paraissent sans doute bien simples ; j’en tirai ma philosophie. Il ne me restait plus qu’à connaître que je n’étais pas un cas monstrueux, un cas unique, pour reconquérir mon assurance, échapper à ma propre aversion.

— Vous me dites bien comment vous reconnûtes votre peu de goût pour les femmes, mais non point comment se révéla votre penchant…

— C’est une histoire assez pénible et que je