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— Ne vous emballez pas. Le saphisme jouit parmi nous d’une indéniable faveur.

Il était si lancé qu’il n’entendit pas ma remarque, et, continuant :

— Rien de grotesque, à chaque nouveau procès de mœurs, comme le bienséant étonnement des journaux devant l’attitude virile des accusés. Évidemment l’opinion s’attendait à les voir en jupes. Tenez : lors du procès Harden, j’ai découpé ceci dans le Journal

Il chercha parmi divers papiers et me tendit une feuille où je lus ces lignes soulignées :

Le comte de Hohenau, de haute stature, sanglé dans sa redingote, l’air hautain et chevaleresque, ne fait nullement l’effet d’un homme efféminé. C’est tout à fait le type de l’officier de la Garde, passionné de son métier. Et cependant sur cet homme d’apparence noble et martiale pèsent les plus graves soupçons. Le comte de Lynar est, lui aussi, de belle taille… etc.

— De même, reprit-il, Macdonald, Eulenburg parurent, même aux yeux les plus prévenus, intelligents, beaux, nobles…

— Bref, désirables de tous points.

Il se tut un instant et je vis un éclair de mépris passer dans son regard ; mais, se ressaisissant, il continua comme si ne l’avait pas atteint ma pointe :

— On est en droit d’attendre quelque beauté de l’objet du désir, mais non point du sujet qui désire. Peu me chaut la beauté de ceux-ci. Si j’insistais sur leur aspect physique, c’est qu’il m’importe qu’ils soient bien portants et virils. Et je ne prétends pas que tous les uranistes le