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soient ; l’homosexualité, tout de même que l’hétérosexualité, a ses dégénérés, ses viciés et ses malades ; j’ai, comme médecin, relevé, à la suite de beaucoup de confrères, maints cas pénibles, désolants ou douteux ; j’en ferai grâce à mes lecteurs ; encore une fois mon livre traitera de l’uranisme bien portant ou, comme vous disiez tout à l’heure : de la pédérastie normale.

— N’avez-vous donc point vu que j’employais ces mots par moquerie ? Vous seriez trop heureux si j’accordais ce premier point.

— Je ne vous le demanderai jamais par complaisance. Je préfère que vous y soyez forcé.

— À votre tour vous voulez rire.

— Je ne ris pas. Je gage qu’avant vingt ans, les mots : contre nature, antiphysique, etc., ne pourront plus se faire prendre au sérieux. Je n’admets qu’une chose au monde pour ne pas être naturelle : c’est l’œuvre d’art. Tout le reste, bon gré mal gré, rentre dans la nature, et, dès qu’on ne le regarde plus en moraliste, c’est en naturaliste qu’il convient de le considérer.

— Ces mots que vous incriminez sont habiles du moins à fortifier nos bonnes mœurs ? Où irons-nous, quand vous les aurez supprimés ?

— Nous n’en serons pas plus démoralisés ; et je me retiens fort pour n’ajouter pas : au contraire !… Vous nous la baillez belle, messieurs les hétérosexuels ; il semble, à entendre parler certains d’entre vous, qu’il suffise que les relations soient entre sexes différents pour être licites ; pour être « normales » tout au moins.

— Il suffit qu’elles le puissent être. Les homosexuels sont nécessairement dépravés.

— Pensez-vous que l’abnégation, la maîtrise