Page:Gide - Corydon, 1925.djvu/41

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
39

— Parce que ?

— Il me plaît qu’il soit effrayé. Je m’assure qu’il y a de quoi.

— Et voyons le Montaigne.

Les lois de la conscience, que nous disons naître de la nature, naissent de la coutume.

— Je sais que vous avez de la lecture. On trouve ce qu’on veut, dans une bibliothèque bien faite, en cherchant bien. N’importe ! pour une ligne échappée à Pascal, et que vous interprétez comme il vous plaît, vous avez beau front de vous abriter derrière lui !

— Croyez que je n’avais que l’embarras du choix. J’ai copié de lui d’autres phrases qui montrent que je ne fausse pas sa pensée. Lisez.

Il me tendit un feuillet où les mots suivants étaient transcrits :

La nature de l’homme est tout nature, omne animal. Il n’y a rien qu’on ne rende naturel. Il n’y a naturel qu’on ne fasse perdre.

— Ou si vous préférez :

Il me tendit un autre feuillet, où je lus :

Sans doute que la nature n’est pas si uniforme. C’est la coutume qui fait donc cela, car elle contraint la nature ; et quelquefois la nature la surmonte, et retient l’homme dans son instinct, malgré toute coutume, bonne ou mauvaise.

— Prétendez-vous que l’hétérosexualité soit simple affaire de coutume ?

— Non point ! Mais que nous jugeons selon la coutume en ne tenant pour naturel que l’hétérosexualité.

— Pascal serait flatté s’il savait à quelles fins vous le faites servir !

— Je ne pense pas dévoyer sa pensée. Il